The Incredible World of Photography. Collection Ruth et Peter Herzog

Intro

The Incredible World of Photography Collection Ruth et Peter Herzog 18.07. - 04.10.2020

Un jour d’été à Coney Island – simple photo de vacances ou esthétique travaillée ? En regardant attentivement, ce qui à premiére vue ressemble à un instantané pourrait être une mise en scène.

Nous n’en savons pas beaucoup sur cette photographie. Qui sont ces personnes et que cherche leur regard au loin ? Nous ne pouvons faire que des suppositions. Nous ignorons également qui en est l’auteur.

Unknown, Bathers (Coney Island), 1950–60. Hand-colored silver gelatin print, 17.7 x 12.6 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

La photographie de Coney Island a fait l’objet d’une colorisation ultérieure dont la gamme chromatique n’est pas sans rappeler l’art d’Andy Warhol. Pour ses sérigraphies, l’artiste américain se servait de photographies comme modèles. À travers des teintes inhabituelles, il dénature la photo du président du Parti chinois, Mao Zedong. Cette modification fait-elle du dictateur chinois une icône du pop art ou le tourne-t-elle en ridicule ?

Andy Warhol, Mao, 1972. 91.4 x 91.4 cm, Silkscreen, Kunstmuseum Basel © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / 2022, ProLitteris, Zurich.

Apparu à la fin des années 1950, le pop art se sert d’images du quotidien pour les transformer radicalement. Les artistes utilisent des images d’aliments, de boissons, de cigarettes, de voitures et d’autres produits de masse. Ils font également usage de visuels publicitaires, de presse et du cinéma.

Les artistes dénaturent les images en choississant d’autres matériaux, des couleurs vives ou en produisant des répétitions sérielles. Leurs œuvres commentent avec ironie la société de consommation de l’après-guerre. Andy Warhol figure parmi les représentants les plus célèbres de ce style.

L’artiste crée la réalité, le photographe la voit.

Karl Pawek, 1963 Cité d'apres: Karl Pawek, Das optische Zeitalter, Walter-Verlag, 1963, p. 58.

La photographie de Coney Island figure dans la Fotosammlung Ruth und Peter Herzog (collection de photographies), tandis que l’œuvre de Warhol se trouve au Kunstmuseum Basel. Les deux œuvres se rencontrent dans l’exposition The Incredible World of Photography. Le dialogue entre les deux collections ouvre de nouvelles perspectives sur la confrontation à la fois tendue et fructueuse entre les beaux-arts et la photographie.

La collection de photographies

La collection de photographies

Image: Unknown, Young girl with a Kodak Brownie camera, 1901. Silver gelatin POP, c. 12 x 9 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

Ruth et Peter Herzog collectionnent des photographies depuis plus de 45 ans. L’éventail de leur collection de photos s’étend des origines du médium dans les années 1840 jusqu’au début de sa numérisation dans les années 1970. Depuis cinq ans la Fotosammlung fait partie intégrante du Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett à Bâle, où elle y est répertoriée, évaluée et digitalisée avec une rigueur scientifique. Un projet gigantesque, vu les plus de 500 000 photographies existantes. Ceci est dû a un pur hasard.

Unknown, Spinners, c. 1900. Silver gelatin, 21.9 x 33 cm © Sammlung Ruth + Peter Herzog, Basel.

Petite trouvaille, grandes conséquences. Zurich, 1974. Ruth et Peter Herzog découvrent à un marché aux puces cette photographie anonyme représentant un groupe de fileuses. À leurs pieds, un chien de type spitz. Au centre, une femme âgée dévide des bobines de fil. Cette scène n’est pas sans rappeler à Peter Herzog l’histoire de sa famille. Pour le couple, le potentiel de cette photographie, pouvant relever à la fois de l’art et du témoignage, est cependant déterminant.

La collection, un cabinet de curiosités

Le désir de collectionner des Herzog ne parait connaître aucune limite. Aujourd’hui, la Fotosammlung est l’une des plus vastes au monde constituée par des particuliers.

L’acquisition des fileuses a éveillé la passion de collectionneur des Herzog. Dès le début, le choix des photographies et leur assemblage sont soumis à des critères subjectifs. Ainsi, au fil des années, une collection voit le jour dont le principe structurel consiste en une coexistence, confuse en apparence, d’images très différentes. S’attachant à refléter le monde en miniature, ce désordre intentionnel rapproche la Fotosammlung des cabinets de curiosité des temps modernes.

Le cabinet de curiosités

Le cabinet de curiosités est considéré comme l’un des précurseurs de l’actuel musée. Il apparaît au XIVe siècle, lorsque souverains et riches bourgeois commencent à collectionner des objets rares et des curiosités du monde entier. Dans les cabinets d’art et de curiosités, des dents de requins côtoient des pièces de monnaie, des instruments astronomiques des œuvres d’art. Tout est présenté côte à côte, à égalité.

La diversité des objets permet de fondre le savoir de l’époque en une entité et de représenter l’univers en miniature. On tente de parvenir à la connaissance en comparant les choses. Même si la Fotosammlung n’est pas un cabinet de curiosités au sens classique, de nombreux parallèles existent.

Ole Worm's cabinet of curiosities, from Museum Wormianum, 1655. Etching.

La collection se doit d’aborder tous les domaines de l’existence de l’homme moderne. Dès lors, Ruth et Peter Herzog ont décidé de ne pas organiser leur collection de manière chronologique ou par photographe. Les images ont plutôt classé les photos par sujet (voyages, pays) et dans des catégories (portraits / albums de famille, nature, industrie) qu'ils ont déterminées eux-mêmes.

  • Portrait

    Unknown, Blind woman with braille typewriter, 1845–55. Daguerreotype, 9.2 x 8.2 x 1.8 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    La femme ne regarde l’appareil qu’en apparence. Ses verres fumés et la machine braille indiquent que cette non-voyante ne verra jamais son portrait. Les daguerréotypes – première forme de la photographie – constituaient des souvenirs. Très appréciés, ils furent accusés de supplanter la peinture de portrait.

  • Famille

    Martin Hesse, Woman with child, 1940–50. Silver gelatin print, 17.9 x 12.9 cm © Martin Hesse Erben / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    Bien des événements nous semblent singuliers : la naissance, l’enfance, les voyages, le mariage, la vieillesse et la mort. Pourtant, pris dans la masse, ils n’en sont pas moins standardisés. Il est rare de voir une image comme celle-ci montrant un enfant en pleurs.

  • Technologie

    Henri Dufaux, X-ray of Noémie Dufaux's hand, 1903. Silver gelatin print, 28.9 x 21 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    En 1895, Wilhelm Röntgen publie la première photographie dont la technique portera son nom (Röntgen signifiant radiographie). Qu’avait ce processus de si fascinant ? Cette image dévoile le squelette d’une personne vivante sans utiliser de scalpel.

  • Science

    Alphonse Bertillon, Anthropometric data sheet of Alphonse Bertillon, 1912. Albumen print, 14.7 x 14.6 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    En 1880, Alphonse Bertillon développe un système d’identification des criminels. Il s’agit de classer les individus selon onze caractéristiques corporelles. L’emploi de la photographie de face et de profil perdure aujourd’hui encore. Tout comme l’idée de pouvoir identifier clairement chaque visage.

  • Histoire

    Graphopresse, Bruxelles: Storage of paintings by Lucas Cranach and Robert Camping during World War II, 1939–45. Silver gelatin print, 12.9 x 17.9 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    La promesse de la photographie de montrer une chose telle qu’elle est en a fait un médium privilégié pour témoigner d’événements majeurs. Cette image montre la manière dont le personnel de musée inspecte des peintures devant être entreposées durant la 2e Guerre mondiale.

  • Industrie

    Unknown, Changing room in a mine, 1920–30. Silver gelatin print, 23.8 x 18 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    Depuis ses débuts, la photographie traite du travail et de l’industrie. La plupart des images ne montrent pas les conditions de vie précaires de nombreux ouvriers, mais des salles de production désertes aux machines rutilantes. Que voulait-on montrer à travers ces photos et à qui s’adressaient-elles ?

  • Guerre

    Detroit News, Munitions worker at Maxwell Motor Co. in Detroit, 1918. Silver gelatin print, 25.4 x 20.5 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    L’appareil photo fait partie intégrante de l’équipement sur le front. Les prises de vue aériennes révolutionnent la conduite de la guerre. Cette photographie de propagande montre une « munitionnette » dans une fabrique de munitions durant la Première Guerre mondiale.

  • Nature

    Unknown, Tomato and potato plant, 1906. Cyanotype photograms, 25.4 x 30.1 cm (object) © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    Ces études de plantes sont des cyanotypes. Il s’agit d’un procédé ancien de développement photographique. Les images de plantes et d’animaux étaient appréciées des peintres. Nombre d’artistes constituaient des collections d’études afin de toujours pouvoir recourir à des motifs de la nature.

  • Voyage

    Giacomo Caneva, Castel Sant'Angelo and Tiber river in Rome, 1845–55. Salted paper print, 24 x 33.1 cm © als Sammlung by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

    Cette image montre le château Saint-Ange à Rome – motif populaire dans la peinture de paysage du XIXe siècle. Plus petits, maniables et abordables, les appareils photo deviennent de fidèles compagnons de voyage à la fin du XIXe siècle.

Événements familiaux ou sportifs, images du front ou représentations pornographiques : nul motif massivement photographié n’est absent de cette collection qui prétend « représenter la diversité de la vie humaine à l’ère industrielle » selon Peter Herzog. Là réside sa singularité. Outre des tirages, les collectionneurs ont acheté aussi des albums, boîtes, successions d’autres collectionneurs et des archives photographiques.

Collectionner des photographies

Très tôt, des collections photographiques furent constituées dans différents contextes : des collections naturalistes, médicales ou scientifiques. Récemment, une exposition a présenté la période 1850 à 1930 de la collection pédagogique de l’université des Arts de Berlin. Franz Lenbach, célèbre peintre munichois, fit réaliser des photographies pour ses portraits. D’autres peintres, comme le Suisse Frank Buchser, eurent également recours à la photographie pour constituer des collections d’études.

La photographie comme discipline artistique fut collectionnée dès le XIXe siècle, notamment par Alfred Lichtward dans sa fonction de directeur de la Hamburger Kunsthalle. Désormais, elle est bien établie sur le marché de l’art international. Le genre possède ses stars au prix élevé figurant également dans la Fotosammlung. Cependant, les Herzog ont aussi œuvré à l’écart de cette catégorie. Il leur fut ainsi possible de constituer un fonds de plus de 500 000 photographies.

Le leitmotiv de la collection c’est la vie des gens à l’ère industrielle, dans toutes les circonstances de la vie. La diversité de la collection nous permet d’explorer l’essence de la photographie et de l’homme.

Peter Herzog, 2016 Oral History with Peter Herzog, 2016 © Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel.

Une collection de collections

Plus de 3 000 albums du monde entier figurent dans la Fotosammlung. Un nombre très élevé provient d’Europe, beaucoup viennent aussi d’Afrique, d’Asie et d’Amérique.

Pour le marché, il est plus rentable de séparer les albums et les portfolios, et de les vendre séparément. Un ensemble donne pourtant une image beaucoup plus précise, des informations toutes autres apparaissent.

Peter Herzog, 2016 Oral History with Peter Herzog, 2016 © Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel.

Au XIXe siècle, les albums de photos permettaient d’affirmer sa position au sein de la société. Au XXe siècle, il s’agissait de plus en plus d’exprimer son individualité. Pourtant, beaucoup d’albums se ressemblent dans leur contenu et leur mode de représentation.

Cet exemplaire appartient à une série d’albums qui témoigne de la vie des petites Zurichoises Margrit et Ruth Isele. Elles sont nées en 1915 et en 1919.

Unknown, Album of the Isele family, 1899–1923. Various techniques, 26 x 20 x 5.5 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

La plupart des photos sont datées et légendées, plusieurs cartes postales y figurent aussi. Jadis, il était habituel d’intégrer de petits souvenirs. Parfois, les albums de famille étaient décorés avec de délicates illustrations peintes à la main.

Toutes les couvertures d’album de la famille Isele sont différentes les unes des autres. Chaque album porte une étiquette avec le nom d’une des filles et un numéro.

Le chien Meierli fait partie intégrante de la famille. Dans l’album, il pose en costume.

Le successeur de Meierli montait aussi sur le lit pour la sieste.

D’autres images attestent d’excursions à la fosse aux ours de Berne et à Interlaken.

En feuilletant les albums, on observe les deux fillettes Isele grandir. On croirait presque les connaître personnellement.

Toutes les couvertures d’album de la famille Isele sont différentes les unes des autres. Chaque album porte une étiquette avec le nom d’une des filles et un numéro.

Les albums de photographies sont des objets intimes racontant l’histoire d’un individu ou d’un groupe. Ils renferment nombre d’instantanés uniques à première vue. Ils sont aussi riches d’enseignements sur des générations entières. Une comparaison de différents albums de famille révèle une standardisation de l’individualité de chacun d’entre eux. La ressemblance de certaines expériences émerge tout comme les structures et les modèles qui marquent notre propre histoire.

La multitude d’albums de famille nous dit quelque chose sur la représentation collective de la famille. Le flot d’images de guerre fait de ce conflit l’expérience collective du XXe siècle. Dans un album, des photos du front peuvent côtoyer des photos de mariage ou de vacances.

Heinz Fraede, Destructions in Hildesheim (Germany) after air raids, ca. 1945–47. Silver gelatin print, 24.1 x 17.6 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
Unknown (German), Eastern Front of World War II, 1941–42. Silver gelatin prints, 25 x 33.5 cm (page) © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

Pour les personnes qui n'ont pas connu la guerre, ces photographies privées peuvent être déconcertantes. L’horreur est ici réduite à un album maniable, convenablement étiqueté. Ce qui suscite chez nous un malaise fut de toute évidence perçu comme un instant mémorable digne d’être photographié.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Percevons-nous les images des conflits passés autrement que celles de la guerre en Syrie ou en Ukraine ? Notre malaise est-il surtout causé par ce qui est représenté ou par le rôle du photographe dont nous partageons inévitablement le regard ? Est-il observateur ou acteur ?

Hosam Katan, Light from a far, 2014. © Hosam Katan.

Bien que la caméra soit une station d’observation, l’acte de photographier est plus qu’une simple observation passive. (…) Cela signifie comploter avec tout ce qui rend un objet intéressant, digne d’être photographié, voire – si cela présente un intérêt – avec la souffrance et le malheur d’un autre homme.

Susan Sontag, 1977 Cité d'apres: Susan Sontag: Über Fotografie, Fischer Taschenbuch Verlag, 1999, p. 18.

Mémoire visuelle collective

L’arrivée de la photographie change le journalisme. L’appareil photo accompagne les événements historiques qui trouvent leur place dans le journal du salon depuis la fin du XIXe siècle.

Grâce à la diffusion en direct et à l’omniprésence des images dans les médias, des millions de personnes dans le monde eurent l’impression de vivre eux-mêmes l’atterrissage sur la Lune. Cette photographie montre l’astronaute Buzz Aldrin. Deuxième homme à marcher sur la Lune, il ne connut jamais la gloire de Neil Armstrong qui tient ici l’appareil et dont on voit le reflet dans le casque d’Aldrin.

Neil Armstrong, Buzz Aldrin walking on the moon, 1969. Chromogenic print, 30 x 23.9 cm, Courtesy NASA, JPL-Caltech © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

Dès le départ, l’atterrissage sur la Lune se voulait un événement médiatique. La circulation massive d’images spectaculaires allait de pair avec la mission lunaire. Plusieurs photographies, dont celle d’Aldrin, sont devenues des icônes et ont trouvé leur place dans notre mémoire visuelle collective.

Le soleil deviendra ainsi l’historiographe de l’avenir, et dans la fidélité de sa plume et la précision de sa chronique, la vérité elle-même sera impérissable et l’histoire cessera d’être fabuleuse.

David Brewster, 1856 Cité d'apres: David Brewster, The Stereoscope: Its History, Theory, and Construction (London, 1856), p. 181.

Chacun connaît la Joconde et son sourire mystérieux, même sans s’intéresse particuliérement à l’art. Cette photo montre un marchand ambulant parisien. En ce jour d’août 1911, il ne vend rien d’autre que des cartes postales de la Joconde. Peu de temps avant, des voleurs ont dérobé le célèbre tableau au Louvre lors d’un spectaculaire cambriolage. Mais les cartes postales vendues par le marchand sont bien plus que de simples reproductions ! Elles devaient marquer de manière décisive l’histoire de cette peinture.

Agence Meurisse, Parisian street vendor selling postcards, 1911. Silver gelatin print, 18 x 13 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

La Joconde ne se fait irremplaçable qu’à partir du moment où elle disparaît. Des photos dans les journaux mettent en évidence l’absence de l’original en montrant les murs vides du Louvre. Tandis que les milliers de cartes postales envoyées contribuent à la renommée mondiale du tableau, la photographie interroge le caractère indispensable de l’original, et provoque un véritable séisme dans le monde de l’art !

Importe-t-il que le tableau soit accroché au Louvre si chacun peut posséder la Joconde sous la forme d’une carte postale ? Lors du retour du tableau, le Louvre répond en l’installant séparément, soulignant ainsi son importance particulière.

Photographie et art

Photographie et art

Foto: Sherrie Levine, L'Absinthe, 1995. Twelve Silver Prints, each 25.3 x 20.3 cm, Kunstmuseum Basel © Sherrie Levine, Courtesy of the Artist and David Zwirner.

Depuis sa découverte, la photographie lutte pour se faire une place parmi les beaux-arts. Cette confrontation est aussi ancienne que le médium lui-même.

La photographie divise. Ses défenseurs et ses opposants se livrent à des débats houleux. Que peut la photographie ? On reconnaît rapidement qu’elle convient au témoignage. Mais les avis divergent quant à sa valeur artistique. Pour nombre de ses contemporains, l’origine technique d’une image parait trop mécanique et semble manquer de créativité.

Naturellement, un portrait daguerréotype de ce genre rend chaque poil et chaque bouton, mais la lumière matérielle ne reconnaît que la dépouille ; seule la lueur immatérielle de l’artiste peut rendre visible et libérer le merveilleux en l’homme et son âme.

Joseph Frei­herr von Eichen­dorff, 1857 Cité d'apres: “Geschichte der poetischen Literatur Deutschlands,” in Joseph von Eichendorff, Sämtliche Werke, ed. Wolfram Mauser, vol. 9 (Regensburg, 1970) p. 477.

La libération de la peinture

La marche triomphante de la photographie qui devait influencer tous les domaines de la vie comme nul autre médium n’a aucunement mené à la fin de l’art. Bien au contraire !

On ne peut imaginer meilleur symbole de la foi dans le progrès que la tour Eiffel. Avec sa construction pour l’Exposition universelle de Paris de 1889, on célèbre les avancées techniques du XIXe siècle, dont la photographie. Avec les journaux illustrés et un marché pour la photographie en constante croissance, l’image devient un média de masse. Karl Marx fait figurer la photographie parmi les symboles du progrès, au même titre que le chemin de fer, la machine à vapeur, la télégraphie ou l’usine à gaz.

Unknown, Eiffel Tower under construction, 1888. Albumen print, 18.1 x 12.9 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
Robert Delauney, La Tour Eiffel, 1910-11. Oil on canvas, 195.5 × 129 cm, Emanuel Hoffmann Foundation, on permanent loan to the Öffentliche Kunstsammlung Basel © Emanuel Hoffmann Foundation / © Image: Bisig & Bayer, Basel.

Robert Delaunay a représenté ce monument emblématique à trente reprises. Bien que cette peinture soit abstraite, on y reconnaît l’architecture caractéristique. La technique picturale inspirée du cubisme décompose la tour et la ville en différentes facettes et en montre plusieurs vues à la fois. On considère généralement que la photographie a ouvert la voie à la peinture moderne, car il n’appartenait alors plus à l’art de représenter les choses d’après nature.

Lorsque l’impressionnisme cède la place au cubisme, la peinture s’est créé un autre domaine dans lequel la photographie ne peut, dans un premier temps, la suivre.

Walter Benjamin, 1925 Cité d'apres: "Paris, die Hauptstadt des XIX. Jahrhunderts", in: Walter Benjamin, Gesammelte Schriften Band V.1, (hrsg. R. Tiedemann), Suhrkamp Verlag 1982, p. 49.

Reproduction

Il n’existe qu’une seule Joconde. Mais d’innombrables copies du tableau.

Très tôt, les photographes proposent de reproduire des tableaux. Au XIXe siècle, des ateliers spécialisés dans la photographie d’œuvres d’art apparaissent. Ainsi, il est possible de « visiter » les musées de ce monde confortablement et à petits frais sans quitter son domicile.

Tous ces moyens réunis répandent jusque dans la cabane du paysan la copie habilement reproduite de l’objet d’art unique et de l’étoffe brodée à la main que le riche avait seul possédés.

Léon De Laborde, 1859 Cité d'apres: Léon De Laborde, "Die Revolution der Reproduktionsmittel", in: Wolfgang Kemp: Theorie der Fotografie I. 1839 – 1912, Schirmer/Mosel, 1980, p. 97.

Le débat sur le rapport entre l’original et la copie d’une œuvre d’art prend de l’importance lorsque la photographie devient un véritable média de masse après la Seconde Guerre mondiale. Cette tension entre l’original et la copie stimule également l’art contemporain. Pourquoi le caractère authentique et original revêt autant d’importance ?

Sherrie Levine, L'Absinthe, 1995. Twelve Silver Prints, each 25.3 x 20.3 cm, Kunstmuseum Basel © Sherrie Levine, Courtesy of the Artist and David Zwirner.

Dans ses travaux provocants, Sherrie Levine remet en cause le statut d’auteur. Représentante majeure de l’ « appropriation », elle est connue pour s’approprier des œuvres de photographes et de peintres masculins. Avec L’Absinthe, Levine s’interroge sur le rapport fondamental entre la photographie et la peinture : la répétition, l’encadrement et l’accrochage au musée confèrent à la copie d’une copie le statut d’une œuvre autonome.

Couleur

Comparé à l’art, la photographie au XIXe siècle comporte un inconvénient : sa faible gamme chromatique.

Très tôt, les photographes expérimentent la couleur avec des procédés de développement spéciaux (cyanotypie) ou la colorisation ultérieure de motifs. Chacun utilise son propre développeur qui confère un chromatisme particulier aux tirages.

Technique photographique

Beaucoup de techniques photographiques historiques représentées dans la Fotosammlung sont tombées à ce jour dans l’oubli. La grande diversité des matériaux utilisés permet de démontrer la dynamique de l’évolution de la photografie. Par exemple: le cyanotype, une des premières techniques photographiques, a été mis au point en 1842 par Sir John Herschel et permet, grâce à l’utilisation d’un mélange de produits chimiques contenant du fer et de la lumière, un tirage par contact Un objet ou un négatif peut être placé directement sur le papier. La couleur typique bleu provient de l’oxidation lors du séchage des épreuves. Beaucoup d’artistes voyaient d’un oeil critique le cyanotype, ceci à cause de sa simplicité et de sa couleur dominante. Avec la venue des premiers appareils photo portables au début du 20ème siècle, cette méthode est revenue à la mode parmi les amateurs qui pouvaient ainsi développer un grand nombre d’épreuves, facilement et à moindre coût.

Dès 1903, la technique de l’autochrome permet un rendu réaliste des couleurs. Le film couleur ne s’imposera toutefois que dans la seconde moitié du XXe siècle. Malgré tout, la photographie couleur a mauvaise réputation, notamment chez les artistes photographiques. Jusque dans les années 1970, ils sont fidèles à une esthétique en noir et blanc pour souligner le caractère artistique des photos. La couleur est associée à des images publicitaires et à d’autres produits de la culture populaire.

There are four simple words which must be whispered: color photography is vulgar.

Walker Evans Cité d'apres: Mary Warner Marien, Photography: A Cultural History (London, 2006), p. 357.
Ed Ruscha, Product Still Life, 1961/2009. Silver gelatine, 33.3 x 26.5 cm, Kunstmuseum Basel © Ed Ruscha.

Avec ses Product Still Lifes de 1961, Ed Ruscha fait écho à la photographie publicitaire.

Ed Ruscha, Product Still Life, 1961/2009. Silver gelatin, 33.3 x 26.5 cm, Kunstmuseum Basel © Ed Ruscha.

Toutefois, il ne présente pas les emballages colorés en couleur mais en noir et blanc.

Ed Ruscha, Product Still Life, 1961/2003. Silver gelatin, 33.7 x 26 cm, Kunstmuseum Basel © Ed Ruscha.

On remarque qu’il renonce à couper le bord inférieur de l’image.

Ed Ruscha, Product Still Life, 1961/2009. Silver gelatin, 33.3 x 26.3 cm, Kunstmuseum Basel © Ed Ruscha.

Dans ses Product Still Lifes photographiques, Ruscha reste fidèle au langage visuel et à l’iconographie du pop art.

Ed Ruscha, Product Still Life, 1961/2009. Silver gelatin, 33.3 x 26.3 cm, Kunstmuseum Basel © Ed Ruscha.

Ruscha adopte toutefois une autre approche que celle de son collègue Andy Warhol qui représente sur la toile des produits aux couleurs vives comme des boîtes de soupe.

Avec ses Product Still Lifes de 1961, Ed Ruscha fait écho à la photographie publicitaire.

La succession Hans Hinz (1913-2008) dans la Fotosammlung comprend de nombreux motifs publicitaires appréciés des années 1950 et 1960. Leurs couleurs soutenues sont caractéristiques de l’époque. Hinz fut un pionnier international de la photographie publicitaire. Malgré tout, son œuvre est peu connue en raison de la mauvaise réputation de la photographie couleur et parce qu’il répondait surtout à des commandes pour lesquelles il n’apposait pas sa signature.

  • Hans Hinz, Advertisement for the cigarette brand Senoussi, 1952–64. Chromogenic diapositive, 23.7 x 17.7 cm © Hans Hinz / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
  • Hans Hinz, Abstract color study, ca. 1960. Chromogenic diapositive, 10 x 12.5 cm © Hans Hinz / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
  • Hans Hinz, Advertisement for Kraft Käse, 1960–76. Chromogenic diapositive, 9.9 x 12.5 cm © Hans Hinz / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
  • Hans Hinz, Advertisement for the cigarette brand Fox, 1952–64. Chromogenic diapositive, 23.7 x 17.7 cm © Hans Hinz / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.
  • Hans Hinz, Advertisement for Knorr, ca. 1960. Chromogenic diapositive, 23.7 x 17.7 cm © Hans Hinz / © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

La couleur est essentielle au travail de Hinz. Avec ses expérimentations, il devient une figure de proue dans ce domaine à l’international. Il était le seul en Suisse à pouvoir développer dans son laboratoire les nouveaux films Ektachrome commercialisés par Kodak en 1948.

Grâce à son expertise, Hinz a collaboré au légendaire ouvrage de Georges Bataille sur la grotte de Lascaux découverte en 1940. Hinz est parvenu, non sans effort, à rendre en couleur les peintures rupestres considérées comme le premier chef-d’œuvre de l’humanité. Lorsqu’il paraît en 1955, « Lascaux ou la naissance de l’art » est l’un des premiers livres d’art avec des photographies en couleur.

Hans Hinz, Overview of the great hall, also called hall of the bulls, 1953. in: Georges Bataille: Lascaux oder die Geburt der Kunst, Genf 1955, p. 45 © Hans Hinz.

La photographie aujourd’hui

La photographie a changé notre manière de voir et de comprendre le monde qui nous entoure comme nul autre médium. A-t-elle perdu de son actualité en 180 d’existence ?

On ne peut prévoir les limites de la photographie. Tout en ce domaine est si nouveau que les recherches aboutissent déjà à des résultats créatifs. À cet égard, c’est bien sûr la technique qui ouvre la voie. L’analphabète du futur ne sera pas l’illettré mais l’ignorant en matière de photographie.

László Moholy-Nagy, 1927 Cité d’apres: László Moholy-Nagy, Malerei. Fotografie. Film, Bauhaus Bücher, No. 8 (Munich, 1925).

Aujourd’hui, la photographie est présente comme nul autre médium visuel ou forme d’art. Dans le champ de l’art, du reportage, de la publicité ou sur nos smartphones. Chacun prend des milliers de photos avec son téléphone et les partage sur les réseaux sociaux avec le monde entier.

Il n’existe pas un type de photographie, mais plusieurs : privée, publique, documentaire, de presse, commerciale et artistique. C’est cette diversité que Ruth et Peter Herzog souhaitent mettre en évidence dans la Fotosammlung. Mais il ne suffit pas de collectionner des images, il faut pouvoir les lire également.

Face au flot d’images qui déferle sur nous, il est important de savoir lire les images ; c’est cela que nous voulons transmettre.

Peter Herzog, 2016 Oral History with Peter Herzog, 2016 © Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel.

Peter Herzog dans une interview en 2014. Oral History with Peter Herzog, 2014 © Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel.

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Ruth und Peter Herzog. right: © Julian Salinas / left: © Ricabeth Steiger.

Conseil d'initié

Conseil d'initié

Pionnier de la photographie, le Français Charles Nègre a mis au point cette daguerréotypie, sans doute en 1845, à l’aide d’un miroir convexe à onze panneaux dit miroir de sorcière. Cette œuvre est unique dans l’histoire de la photographie. Cet objet aborde remarquablement la métaphore du miroir qui décrit la photographie depuis sa découverte dans les années 1830.

L’expérimentation photographique de Nègre est un manifeste : cette nouvelle technique n’est pas seulement le reflet de la réalité, elle est un moyen d’expression autonome. Dans l’exposition, non seulement vous pouvez voir cette pièce unique mais aussi plonger votre regard dans un miroir de sorcière.

Charles Nègre, Autoportrait in a witch mirror, ca. 1845. Daguerreotype, 11 x 9 cm © as a collection by Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. All rights reserved.

Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel

Depuis 2015, la Fotosammlung Ruth und Peter Herzog fait partie intégrante du Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel. Elle y est répertoriée et évaluée avec une rigueur scientifique. A l’initiative et sous la responsabilité du Kabinett un projet de classification ayant comme but de cataloguer , de digitaliser systèmatiquement et de rendre l’ensemble de la collection accessible au public a été mis en oeuvre.

Le but consiste à préserver la collection dans son intégralité en tant que bien culturel et à transmettre sa particularité. Le premier projet complet de mise à jour a été soutenu par diverses organisations: la Christoph Merian Stiftung, le Swisslos-Fonds Basel-Stadt, la Fondation Ernst Göhner, la Fondation Sophie et Karl Binding, la Fondation UBS pour la culture et par un don anonyme.

Malgré des recherches intensives il n’a pas toujours été possible d’identifier l’auteur ou/et l’ayant droit de chaque photographie. Les titulaires de droit sont acquittés selon accord habituel.